Quand la vie sauvage s’invite sur le chantier

Coac, coac… Ce son évoque volontiers une soirée d’été au bord d’un étang. Mais sur un chantier, il peut marquer le début d’une reconfiguration complète du projet.

Dans la région de Berne, une ancienne gravière promise à devenir un lotissement a vu ses plans bouleversés par… une colonie de crapauds calamites. Menacée et protégée, l’espèce avait trouvé refuge sur le site. Résultat, le projet a été repensé : mare de frai, corridor de migration, adaptation du calendrier. Aujourd’hui, les amphibiens cohabitent toujours avec les habitants, au cœur d’un biotope conçu pour leur préservation.

Ce type d’ajustement n’a rien d’exceptionnel. Dans le canton de Neuchâtel, des orchidées sauvages ont retardé l’agrandissement du chantier naval d’Auvernier pendant des années. Dans le canton de Vaud, c’est l’hibernation des colonies de chauves-souris qui devient une question centrale lors de projets de rénovation. La faune comme la flore dictent parfois les règles du chantier, et le secteur de la construction doit apprendre à composer, non par contrainte, mais par engagement.

C’est dans cet esprit que TASQ agit comme un trait d’union opérationnel entre maîtres d’ouvrage, autorités et experts en biodiversité, afin de traduire les enjeux scientifiques en solutions concrètes et réalistes. Objectif : construire autrement, en accord avec le vivant.

Une exigence réglementaire qui structure le projet

En Suisse, la biodiversité est encadrée par une législation exigeante. La Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN), complétée par la Loi sur la protection de l’environnement (LPE), impose un principe fondamental : tout projet de construction ou d’aménagement doit éviter, réduire ou compenser ses impacts sur le vivant. Lorsqu’une espèce protégée est détectée sur une parcelle, un enchaînement d’étapes réglementaires se met en place, sous la supervision de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) et des autorités cantonales compétentes.

Tout commence par une évaluation environnementale menée en amont du projet. Elle permet d’identifier les habitats sensibles, les espèces menacées, les continuités écologiques à préserver. Si nécessaire, des inventaires de terrain, relevés saisonniers ou études ciblées viennent affiner le diagnostic. Ces analyses conditionnent non seulement les autorisations administratives, mais aussi les choix techniques et les adaptations à prévoir.

Lorsque la présence d’espèces protégées est confirmée, les autorités imposent des mesures d’atténuation sur mesure. Elles peuvent aller du maintien d’une zone intacte à la modification du tracé initial, en passant par la translocation d’individus ou la création d’habitats de substitution. Chaque stratégie dépend du cycle de vie de l’espèce, de son statut de protection et de la nature du chantier. Adapter un projet au rythme de reproduction d’un amphibien, préserver une prairie à orchidées ou éviter de déranger une colonie de chauves-souris devient alors une exigence structurante.

Image
Chauve-souris

Construire en accord avec le vivant, c’est accepter que le rythme du projet s’ajuste à celui de la nature.

Image
Chantier vue aérienne

Anticiper, coopérer, construire autrement

Ce type d’adaptation ne relève pas d’un simple exercice réglementaire : il engage une vision intégrée de la biodiversité, dans laquelle la réussite du projet dépend étroitement de la qualité des coopérations mises en place. Maîtres d’ouvrage, autorités, biologistes de terrain, entreprises : chacun joue un rôle dans ce dialogue permanent entre contraintes écologiques et exigences techniques.

Dans ce contexte, TASQ identifie les points de vigilance, facilite le dialogue avec les services cantonaux, oriente vers des solutions concrètes et mobilise les partenaires adaptés. Ce rôle de coordination est d’autant plus essentiel que les espèces concernées sont nombreuses, discrètes et parfois invisibles pendant une grande partie de l’année. Amphibiens, chauves-souris, orchidées alpines, insectes forestiers ou oiseaux migrateurs : chaque présence impose son propre rythme, et doit être prise en compte dès les premières phases de conception.

Mais intégrer la biodiversité à un projet ne s’arrête pas à l’étude. C’est aussi former les équipes, adapter les pratiques de terrain, prévoir des temps d’arrêt, documenter ce qui est observé, et suivre l’évolution des mesures dans la durée. Ce suivi écologique permet de vérifier que les efforts déployés portent leurs fruits : que les crapauds reviennent dans la mare, que les orchidées refleurissent, que les chauves-souris réinvestissent leur gîte. Cette vigilance transforme le chantier en espace vivant, où s’articulent expertise technique et attention portée au milieu naturel.

En Suisse, la protection de la biodiversité n’est pas un simple principe : elle s’impose comme une réalité quotidienne du chantier. Et si les lois fixent le cadre, c’est finalement le terrain qui écrit l’histoire. Construire avec la nature, c’est accepter d’ajuster un calendrier, de déplacer une clôture, ou d’attendre qu’une saison passe. C’est apprendre à partager l’espace, et parfois à laisser la priorité à des espèces que l’on ne voit qu’à certaines heures de la nuit ou de l’année. Cette façon de faire ne ralentit pas la construction : elle l’oblige à devenir plus attentive, plus inventive, et sans doute plus durable. Chaque projet révèle ainsi qu’il est possible de bâtir autrement, non contre la nature, mais avec elle. L’engagement se mesure alors moins aux déclarations qu’à la manière dont, sur le terrain, on parvient à faire cohabiter béton, calendriers… et vie sauvage.